Le Fleuve Whanganui
Novembre 2017
Après plusieurs kilomètres de montée, les trois cyclistes (Florian, Théo et moi-même) arrivent au village de Whakapapa, en plein cœur du Parc National du Tongariro. La pluie est au rendez-vous, cela fait plusieurs jours qu'elle ne s'arrête pas. Nous posons les vélos et partons à pied pour voir la chute d'eau Taranaki Falls.
Ce nom peut à première vue surprendre car le Taranaki, volcan situé à l'ouest de l'île du Nord, est à plus de 100 km de cette chute d'eau ! Le nom de cette chute est en réalité évocateur des croyances maories. Et l'eau coulant dans cette chute se déverse ensuite dans un des cours d'eau les plus importants de Nouvelle-Zélande, de par son histoire, sa taille et depuis peu de par son statut !
Il y a fort longtemps, les quatres volcans : Tongariro, Taranaki, Ruapehu et Ngauruhoe, vivaient ensemble dans le centre de l'île du Nord.
La belle montagne Pihanga, située non loin de là, dominait le lac Taupo et resplendissait de verdure.
Les volcans étaient épris de cette belle montagne dont seul Tongariro, grâce à sa puissance, réussit à attirer l'attention de la Pihanga. Mais Taranaki, fou d'amour, ne comptait pas se laisser faire !
Un combat féroce eut lieu entre Tongariro et Taranaki pour départager les prétendants. La terre trembla.
Tongariro sortit vainqueur et gagna la main de la belle Pihanga. De son côté, Taranaki, blessé, attristé, en colère et le coeur en peine, s'enfuit vers le soleil couchant en délaissant la terre sur laquelle il avait grandi.
Lors de sa fuite vers l'ouest, il creusa le sillage de la rivière Whanganui, marquant ainsi une séparation naturelle entre lui et Tongariro. Les deux géants se provoquent encore parfois en entrant en éruption. Taranaki, lui, est toujours marqué par son amour perdu. Lorsque son sommet se couvre de nuages, c'est qu'il se cache pour pleurer.
Cette rivière Whanganui, le troisième plus long fleuve de Nouvelle-Zélande, prend sa source sur les pentes du Tongariro et se jette 290km plus loin dans la mer de Tasman, au niveau de la ville de Whanganui (ou Wanganui).
Ce fleuve a toujours été, malgré ces forts courants et rapides, une importante route de navigation à travers l'île du Nord.
Les bords du fleuve étaient, avant l'arrivée des européens, le lieu d'habitation de nombreux villages maoris.
Le 15 Mars 2017, ce fleuve est reconnu par le parlement Néo-Zélandais comme une entité vivante. Cette décision, qui découle de plus de 140 années de négociations entre les tribus Maoris et le gouvernement Néo-Zélandais, est une première mondiale.
Le ministre de la justice Chris Finlayson avait ainsi déclaré que le fleuve était doté "d'une personnalité juridique, avec tous les droits et les devoirs attenants".
Les intérêts du fleuve seront défendus juridiquement par deux avocats : l'un représentant le gouvernement et l'autre représentant la tribu maorie. Le but est de reconnaître l'importance du fleuve pour la culture maorie et d'améliorer la qualité du cours d'eau et son utilisation.
C'est seulement la deuxième ressource naturelle mondiale à se voir doter d'une identité propre avec les mêmes droits, devoirs et responsabilités qu'une personne morale. La première était Te Urewera, une région Néo-Zélandaise regorgeant d'espèces uniques, d'une nature luxuriante et emplacement ancestral de plusieurs tribus maories. Cette décision historique sera peut-être le début d'une considération des nombreuses cultures peuplant le monde et d'une prise de conscience de la nécessité de protection des ressources naturelles qui nous entourent.
L'eau qui passe dans cette chute de Taranaki Falls rejoint donc ensuite un fleuve doté d'une véritable identité. Un fleuve dont les intérêts sont défendus. Les sanctions encourues en cas de dégradations ou de comportement ayant un impact néfaste sur le fleuve seront désormais probablement plus sévères.
Cette décision du parlement Néo-Zélandais permettra sûrement de nombreuses améliorations. Nous verrons peut-être à l'avenir de plus en plus d'éléments naturels être reconnus en tant que personnes morales, dans un souci de protection et d'importance culturelle.
"Aujourd'hui, la seule condition de survie réside dans l'établissement d'un rapport plus humble avec la planète."
Alain Gras
Ecriture : Thomas Griffon
Relecture : Nicolas Lavaud