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La pollution du bassin versant du lac Titicaca

Avant notre voyage, nous avons sélectionné rigoureusement la littérature que nous emportions pour ne pas trop nous charger. J’ai choisi d’emporter le magazine Dossier pour la science intitulé « L’eau, Attention fragile ». Pour occuper les quelques heures de bus entre Cochabamba et la Paz, je me suis donc plongé dedans. Je tombe sur l’article « Les rivières, miroirs des bassins versants », qui rappelle que, je cite, « la composition de l’eau des rivières reflète le fonctionnement des territoires qu’elle draine ».

 

Un bassin versant, c'est quoi?

 

A l’échelle d’un territoire, nous ne parlons plus d’une seule rivière, mais bien d’un bassin versant. Pour bien comprendre la suite de l’article, il est judicieux de rappeler ce qu’est un bassin versant. C’est en fait un territoire dont les eaux s’écoulent toutes vers un cours d’eau commun, qui lui-même se déverse dans un océan, une mer régionale ou un lac isolé. Ainsi, selon les reliefs d’un territoire, on peut rigoureusement tracer une ligne séparant deux bassins versants. Deux gouttes d’eau qui tomberont à quelques millimètres  de distance, mais séparées par cette ligne invisible pourront finir leur course dans des cours d’eau distants de plusieurs centaines de kilomètres.

 

Dans un bassin versant, l’eau s’écoule dans un réseau de ruisseaux, mais s’infiltre également dans les sols jusqu’à rejoindre des rivières, puis un fleuve. Sur son chemin, l’eau traverse donc la quasi-intégralité du territoire du bassin versant et à chaque traversée, elle garde des traces. En regardant la composition de l’eau des rivières, on arrive à retrouver les caractéristiques des sols drainés en amont : la nature des roches ou des sols, mais également les activités humaines qui s’y déroulent. Aujourd’hui, on arrive à connaître au µg/L près la concentration des produits se trouvant dans l’eau. Et cette précision rend un grand service car elle permet de détecter les traces de produits toxiques.

Les nombreux scientifiques qui étudient les rivières en savent donc long sur ce qui se passe sur leurs bassins versants, et cela leur donne une grande légitimité à participer aux débats environnementaux actuels.

 

Maintenant que vous êtes à jour sur l'expression "bassin versant", parlons un peu de La Paz, puisque nous y sommes ! Cette capitale est la plus haute du monde, perchée à 3700 mètres d’altitude. Et on y compte plus d’un million d’habitants. Si on compte sa ville voisine El Alto, on dépasse allégrement les 2 millions d’habitants ! La ville a été et est encore victime de l’exode rural, s’agrandissant de jour en jour de façon anarchique.

 

Nous y avons rencontré, à l’institut de Chimie de l’université de la Paz (Universidad Mayor San Andres), une chercheuse qui s’intéresse au bassin versant du lac Titicaca, et plus particulièrement à la région de l’Altiplano. Céline Duwig, chargée de recherche à l’IRD (Institut de Recherche pour le Développement), encadre une équipe de recherche qui étudie le degré de pollution du bassin versant par les antibiotiques, dont un des plus répandus, le sulfamethoxazole (SMX).

 

La situation générale de la Bolivie

 

Ayant traversé le pays, nous nous sommes rendus compte de sa grande diversité de paysages. Entre déserts, montagnes, et Amazonie, on ne peut pas tirer de généralités sur la situation de l’eau en Bolivie. Cependant, Céline Duwig constate un fait : le traitement des eaux usées est quasi-inexistant. Il y a alors une pollution généralisée des cours d’eau, particulièrement en zone urbaine. Et pire, Céline Duwig déplore un manque de prise de conscience non seulement de la part de la population, mais également de la part des autorités. Sa proximité avec le monde universitaire de La Paz lui donne une explication à cette sorte d’inconscience : peu de jeunes boliviens continuent leurs études universitaires ou ils ne s’intéressent pas aux thèmes de l’hydrologie, de la dynamique des cours d’eau et de la biochimie! Si aucun bolivien n’a le recul ni la formation pour se rendre compte qu’il y a un problème, techniquement, avec les cours d’eau du pays, qui peut bien s’en préoccuper ? 

 

Et c’est un peu le rôle de l’IRD, nous explique Céline Duwig, d’apporter de nouvelles thématiques de recherches au sein des universités afin de les amener à lancer de nouvelles formations et à intéresser les étudiants à suivre ces spécialités.

 

Le bassin versant du lac Titicaca et ses problèmes de pollution

 

Le bassin versant qu’étudie Céline Duwig, le voici :

Carte du bassin versant Katari

 

Il est appelé le bassin versant Katari, du nom du dernier cours d’eau se jetant dans le lac Titicaca. Son point culminant est à 6088 m d’altitude (Huayna Potosi). L’étude s’est concentrée sur la partie la plus peuplée, qui est représentée ci-dessus. On identifie quatre rivières principales. La Katari, la Seco, la Seke et la Pallina. La Seke et la Seco prennent leur source dans la vallée Milluni. Seke se déverse dans le lac Milluni. Ces deux cours d’eau continuent leur chemin en traversant la ville d’El Alto et la région de la ville de Viacha (avant de se jeter dans la Pallina, qui elle-même se déverse dans la Katari). Finalement, cette dernière finit sa course dans la baie de Cohana, dans le lac Titicaca.

 

Ce bassin versant est situé dans une région semi-aride et froide. Il pleut environ 550 mm/an et ce, principalement pendant la saison des pluies de décembre à mars. Pour avoir un peu une idée de cette aridité, la plupart des cours d’eau sont secs dès le mois de juin. Seuls les cours d’eau qui récupèrent les eaux usées des zones urbaines coulent toute l’année, à petit débit. Ce qui fait d’eux des cours d’eau « poubelles ». Mais voyons un peu les différentes sources de pollution de ce bassin versant.

 

  1. Les mines de la vallée de Milluni

 

La Seke se déverse dans le lac de Milluni. Ce lac est la principale ressource d’eau potable pour La Paz. Le problème c’est que dans ce lac se déversent toutes les eaux usées de mines en amont. Le pH du lac est à 3,5, soit à peu près celui du jus d’orange ! Cela est dû à une forte concentration en métaux (Cd, Zn, Fe, Ni, mais aussi As, l’arsenic !).

Voyez plutôt :

Lac de Milluni (photo Céline Duwig, 2015)

 

 

Mais comment est-ce lac peut-il être une réserve d’eau potable ? En plus du processus de traitement de l’eau lambda, le pH est relevé grâce à l'ajout de chaux, qui va entraîner la précipitation des métaux. Une fois précipités, càd sous forme solide, leur élimination est plus facile. A priori, c’est potable en sortie !

 

 2.  La traversée d’El Alto

 

Soyons optimistes, la ville d’El Alto est une des seules villes boliviennes à posséder une station d’épuration ! Mais Céline Duwig ne manque pas de nous rattraper en vol : cette station, sous-dimensionnée et obsolète, n’est pas très efficace. Les mesures qu’elle a pu effectuer avec son équipe le révèlent : la station a du mal à descendre les niveaux de nitrate et phosphate à des niveaux acceptables pour la vie aquatique. Etant donné que la rivière Seke recevant les eaux « traitées » en sortie de la station a un faible débit, la dilution est faible. Ainsi, on retrouve en sortie d’El Alto une pollution « domestique et industrielle » : le cours, qui est en faible débit, devient l’évacuation des eaux usées de la ville, avec les excès de nitrates, phosphates, chlorures et sulfates qui vont avec.

 

 3.   La cimenterie de Viacha

 

La cimenterie se trouve en aval de la zone urbaine du bassin versant. Elle rejette ses déchets également dans les cours d’eau voisins et rajoute alors une couche aux concentrations en phosphates, chlorures et sulfates.

Cimenterie de Viacha (photo Céline Duwig, 2015)

 

 

 4.   La région d’élevage et d’agriculture le long de la Katari

 

Si aucun traitement de l’eau n’a lieu dans les zones urbaines, on se doute bien qu’en zone rurale, les eaux usées se retrouvent directement dans les cours d’eau. Mais ce sont dans ces régions qu’on souffre le plus des pollutions !

Zones rurales du bassin versant (photo Céline Duwig, 2015)

 

Les mesures des polluants en 2014 :

Concentrations mesurées en différents points du bassin versant (la ligne rouge est l’indice européen d’une mauvaise qualité de rivière), Figure tirée de Duwig et al., 2014 *

 

Et ces conséquences sont nombreuses !

 

Les rivières ainsi polluées coulent la plupart de l’année à très faible débit. Ainsi, les régions agricoles en aval sont obligées d’utiliser l’eau souterraine, pour l’eau potable et pour les animaux, quand ils peuvent. Mais on a vu que ces eaux sont les eaux usées des villes en amont ! Un lot de bactéries les accompagne donc dans leurs jolis méandres.  

 

Quand nous avons réalisé ça, nous nous sommes revus en train d'acheter les légumes sur marché la veille, que nous avons savourés au dîner…

 

Mais les impacts négatifs ne s’arrêtent pas là ! L’eau reste fortement polluée tout le long de la rivière. Arrivée à la baie de Cohana, elle se retrouve dans une zone marécageuse où l’eutrophisation fait son travail... 

L'eutrophisation

excès de nutriments (phosphates, nitrates) qui entraîne la prolifération d’algues. Cette prolifération diminue la quantité en oxygène de l'eau et peut entraîner l’asphyxie des poissons et l'appauvrissement de la biodiversité locale.

Baie de Cohana avec les totoras envahies de lentilles d’eau (photo Céline Duwig, 2015)

 

La zone marécageuse a pourtant un effet positif car elle est peuplée par un jonc local, la totora qui a un effet d’épuration des eaux. Ce jonc se voit pourtant affecté par la contamination des eaux.

 

En bref, l’arrivée de ces eaux usées jusqu’au lac Titicaca devient un risque direct pour la population y vivant, mais également un risque indirect pour la population de La Paz car cette région la fournit en denrées alimentaires!

Nous avons pu observer pendant notre séjour à La Paz la négligence générale de la population face à la pollution. L’utilisation et même l’existence des poubelles en ville est loin d’être automatique. Les déchets partent dans les égouts. La population ne semble pas du tout inquiétée de voir son paysage urbain jonché de déchets, qui se retrouvent en partie dans les cours d’eau.

 

Et les antibiotiques?

 

Et parmi toutes ces pollutions, Céline Duwig a décidé de se pencher sur les polluants émergeants. L’étude qu’elle mène se focalise sur la concentration en SMX. Et leurs premières mesures révèlent un taux critique en sortie de la zone urbaine. La concentration va jusqu’à 14 µg/L. Cette concentration est extrêmement élevée et son impact sur la population humaine n’a pas été encore étudié, par contre l’étude des populations bactériennes dans les cours d’eau montre qu’elles ont déjà des gènes de résistance à cet antibiotique.  

Mesures des antibiotiques principaux le long du bassin versant, en ng/L (LD : limite de détection, LQ : limite de quantification) * Tableau tiré de Duwig et al., 2014.

 

Les questions qui se posent maintenant pour cette équipe sont : comment ces nouvelles molécules polluantes se dégradent-elles le long des cours d’eau ? Et quels sont les effets des crues des saisons humides sur les déplacements de ces polluants ? Ils sont actuellement en train d’affiner leurs mesures. Et déjà quelques pistes sont étudiées pour savoir comment éliminer ces molécules, comme la photodégradation. L’absorption de l’énergie des photons par les molécules peut changer leur configuration en un état « excité ». Cet état est instable en présence d’eau et d’oxygène et entraine la décomposition des molécules (hydrolyse ou oxydation).

 

Les équipes de recherche de l’université de La Paz ont l’avantage d’être écoutées par les autorités sur les constats qu’elles dressent sur l’état des cours d’eau. Ces équipes peuvent alors les alerter de l’arrivée de nouveaux polluants.

 

Mais vient très vite un débat que nous avons abordé lors de notre rencontre. Ces nouvelles molécules polluantes, provenant d’une industrie très récente, sont désignées comme une pollution de pays développés. Seulement, aujourd’hui, les pays en voie de développement s’y retrouvent eux aussi confrontés. La Bolivie a déjà très peu de moyens pour lutter contre ses problèmes de pollutions. Faut-il alors plutôt se concentrer sur les pollutions « primaires », ou considérer également sérieusement les pollutions émergeantes ?

 

 

Rédigé par Léo Breuilly

Relecture : Quentin Défossé

le 20/11/2015

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