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La crise de l'eau à Sao Paulo

 

Une ville étonnante

 

Sao Paulo est la ville la plus peuplée du Brésil et la deuxième d’Amérique latine. Répondre aux besoins en eau qui en découlent est un défi de tous les jours et c’est un sujet phare de l’actualité.

Dès notre arrivée dans la métropole, nous sommes touchés par les problèmes de l’eau. Sao Paulo est immense et parait développée telle une ville européenne. Mais au fur et à mesure que nous découvrons la ville, nous nous retrouvons confrontés à plusieurs éléments étonnants. Il y a des filtres à eau dans chaque maison pour avoir l’eau potable. Quand ils n’en ont pas, les gens vont chercher des bidons d’eau pour leur fontaine à eau.  Il y a des citernes sur tous les toits. Dans l’après-midi, nous avons la surprise de voir l’eau coupée ! Toutes ces différences nous titillent et nous voulons en apprendre plus.

 

En discutant avec les paulistes, nous apprenons que l’eau courante n’est pas potable au Brésil. Il est alors déconseillé de boire l’eau du robinet. C’est pourquoi l’on trouve des filtres chez les paulistes.

Certains n’ont pas de filtres. Dans ce cas, ils vont chercher directement des bonbonnes d’eau potable distribuées par des compagnies qui gèrent l’exploitation des sources. Nous avons pu voir le forage de Poà (à l’Est de Sao Paulo) où les gens vont s’approvisionner en eau. Il est également possible de se faire livrer ses garrafãos (bidons) directement chez soi.

1. Filtre à eau individuel

2. Les brésiliens viennent remplir leur garrafaõs à la source de Poà

3. Les produits vendus directement à la source

4. Pour quelques reais, on peut se faire livrer le garrafaõs chez soi

Voilà le premier mystère du filtre et des bonbonnes résolu !

 

Cependant, il reste le problème de l’eau courante. Coupures régulières dans l’état de Sao Paulo, Réservoirs individuels. Nous apprenons également auprès des paulistes qu’une politique de restriction est mise en place. Il est interdit d’utiliser l’eau pour nettoyer sa terrasse par exemple sous peine d’amende. Les paulistes sont très sensibilisés sur le gaspillage d’eau. Nous avons pu voir qu’ils conservent certaines eaux usées (eaux des lessives par exemple) pour la réutiliser afin de nettoyer les sols. Ils s’équipent donc de réservoirs pour les eaux usées, mais également de réservoirs pour les eaux claires.

Lors des coupures d’eau, chacun a donc ses réserves pour patienter jusqu’à la prochaine alimentation. Le fait de surélever les réservoirs permet d’avoir un minimum de pression (comme un château d’eau miniature). Cependant, ces différents types de réserves (bacs avec les eaux usées, réservoirs sur les toitures) sont potentiellement dangereux. Si elles ne sont pas couvertes et stagnent trop longtemps, elles peuvent favoriser la prolifération des moustiques et de certaines maladies (dengue notamment).

Cette politique d’économie d’eau est louable, mais étonnante. En effet, le Brésil (et plus généralement l’Amérique latine) est une région dont les ressources en eau sont conséquentes. Comment se fait-il alors que les mesures soient si strictes et que l’état de Sao Paulo soit régulièrement touché par des coupures d’eau ?

5. Un réservoir individuel surélevé (certains sont sur les toits, d'autres sur des installations de fortunes)

La situation n’est pas simple et face à cet état des choses, un mécontentement général commence à se faire sentir.

On peut lire sur ce graff « L’eau est un droit universel », « ce n’est pas la faute de la pluie », « l’eau n’est pas un produit ».

6. Graphe dans une rue de Sao Paulo, exprimant le mécontentement des habitants

 

Une mise en contexte nécessaire

 

Pour mieux comprendre la situation, il nous fallait l’avis d’un expert : Marco Antonio Pelarmo, professeur de gestion de la ressource hydrique à l’école Polytechnique de l’USP (Universidade de Sao Paulo), membre du conseil d’études de ressources hydriques et du comité du bassin hydrographique du haut Tietê (zone couvrant Sao Paulo et sa périphérie). On doit à ce grand professeur le livre Gerenciamento ambiental integrado ( gestion environnementale intégrée).

 

 

 

7. 2 gouttes d'eau aux côtés de Marco Antonio Pelarmo

Cet expert a accepté de nous rencontrer pour nous présenter plus en détails la situation de l’état de Sao Paulo. Mais il nous faut comprendre comment la ville en est arrivée là. Nous allons donc faire avec lui un peu d'histoire…

 

En 1860, Sao Paulo rassemblait environ 20 000 habitants. En comparaison, 155 000 habitants résident dans Grenoble et sa périphérie aujourd’hui.

 

Contrairement à la plupart des grandes villes (Paris avec la Seine, Londres avec la Tamise), Sao Paulo n’est traversée que par des rivières d’importances moyennes : le Rio Tietê et le Rio Pinheiros.

Le Rio Tietê a sa source juste en amont de la ville de Sao Paulo, ce qui limite son importance. Le fleuve n’a en effet pas encore accumulé à ce stade tous les petits cours d’eau dans les bassins versants qu’il parcourt. Il traverse toute la ville puis continue sur long trajet (le fleuve parcourt en tout 1150 km, à titre de comparaison, le Rhône parcourt un peu plus de 800 km) avant de se jeter dans le Rio Paraná où il a un débit beaucoup plus important.

Le Rio Pinheiros a lui été rectifié et son cours inversé à partir des années 1920 pour alimenter une usine hydro-électrique au sud de la ville. Cette grande installation a permis à l’époque de développer la ville de façon fulgurante. La ville était propice au développement économique grâce à la quantité d’énergie électrique disponible couplée à son faible coût.

8. vue aérienne de l'usine hydroélectrique Henry-Borden

Le développement de la ville a dû être accompagné d’une réflexion concernant la gestion de l’eau et sa distribution (water management). Vers 1930, deux thèses ont été présentées :

 

  • Celle de Francisco Rodriguez Saturnino de Brito (ingénieur hydraulique et sanitaire) préconisait de laisser libre court au Rio Tietê et de développer la ville autour de ses méandres tout en laissant à la rivière sa zone de liberté. Cette proposition était assez novatrice à l’époque. La tendance, surtout en Europe, était de canaliser les rivières afin de les exploiter au maximum sans considération des conséquences écologiques et hydrauliques.

  • Celle de Prestes Maia (ingénieur en génie civil de Sao Paulo) suivait cette tendance à l’enfouissement du Rio Tietê sous la ville avec la canalisation des cours d’eau et la mise en place d’un réseau circulaire concentrique, suivant ainsi les infrastructures liées à l’urbanisation globale de la ville (routes).

Suite à l’élection de Prestes Maia au poste de maire, sa proposition a été développée et mise en place. Bien qu’efficace dans un premier temps, elle a entraîné aujourd’hui la présence d’un réseau très ramifié et complexe sous la mégalopole.

La ville s’est donc développée malgré ses ressources fluviales limitées pour atteindre aujourd’hui, en considérant la zone urbaine de la mégalopole, une population de 25 millions d’habitants.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Sao Paulo aujourd'hui, un équilibre sur le fil

 

Aujourd’hui, l’aire de la métropole pauliste regroupe 35 villes sur 5700 km². A titre de comparaison, cela reviendrait à multiplier la population de la métro de paris par 10 et à diviser sa superficie par 3 !

Cette nouvelle configuration entraîne une énorme pression sur la demande en eau. Le réseau est actuellement géré par une délégation de service (la SABESP) qui doit faire face à une situation critique à l’équilibre fragile.

 

Des ressources limitées pour des besoins toujours plus élevés

 

Les besoins en eau de cette population sont fournis par différentes sources que l’on peut voir sur la figure suivante :

 

 

9. Sources situés dans la région métropolitaine de Sao Paulo

RMSP = Région Métropolitaine de Sao Paulo

 

Il est intéressant de comparer la ressource disponible en eau avec son exploitation.

On constate ici la réelle pression hydrique exercée sur les ressources présentes sur la mégalopole de Sao Paulo. Le système est à flux extrêmement tendu (production maximale possible par rapport aux ressources) et il est alors impossible de faire des réserves ou de gérer confortablement la distribution d’eau.

 

De plus, la ressource de Cantareira, plus grosse ressource de la macro-métropole, n’est pas tout à fait située sur la zone urbaine liée à Sao Paulo. Ceci entraîne des tensions avec les les communes voisines, qui voient leurs ressources transférées vers l’ogre pauliste.

 

Les pertes d’eau

 

Un problème majeur dans la plupart des réseaux de distribution d’eau est la perte d’eau. Le réseau de Sao Paulo ne fait pas exception à la règle et ce sont 30% de l’eau produite qui sont « perdus » soit « physiquement » (fuites) soit « non-physiquement » (eau distribuée non payée, dans les favelas notamment).

 

Un équilibre rompu

 

Ce réseau qui fonctionne en flux tendu entre production et consommation doit faire face à un nouveau problème depuis quelques années : La sécheresse. Depuis 2014, des périodes de sécheresse appauvrissent les ressources hydriques de la région, qui ne sont plus aptes à produire autant d’eau que nécessaire. Par exemple, les températures observés en 2014 à Sao Paulo était bien supérieures à celles attendues.

Les ressources issues de Cantareira ont chuté pour passer de 33 m3/s en 2013 à 14 m3/s.

 

Les solutions mises en place

 

C’est ici que réside le cœur du problème de Sao Paulo. Pour gérer sa situation difficile, l’Etat de Sao Paulo a mis en place des solutions :

  • A court terme

  • A moyen terme

  • A long terme

Il faut donc analyser ces solutions dans une politique plus large les rendant dépendantes des unes des autres.

 

Les solutions à court terme

 

Les solutions à courts termes sont celles qui nous ont frappées au premier coup d’œil et qui touchent la vie quotidienne des paulistes :

  • Distribution non permanente de l’eau ;

  • Sensibilisation de la population face à la crise de l’eau et éducation aux bons comportements à adopter;

  • Abaissement de la pression dans le réseau ;

  • Instauration d’une facturation incitative (bonus/malus).

On peut déjà tirer un bilan de ces solutions d’urgence. Au niveau de la sensibilisation de la population, la politique de bonus/malus  mise en place pour inciter à réduire la consommation d’eau fait ses preuves : Les résultats après un an (sur l’année 2014) sont les suivants :

 

Les changements de comportements ont permis d’économiser 6 m3/s.  

 

L’autre mesure à court terme/moyen terme est l’entretien du réseau afin de diminuer les pertes dues aux fuites. Les moyens  mis en place sont à l’échelle de la ville : 30 000 interventions par mois sur le réseau, vérification de 4000 km de conduites par mois... Ces mesures permettent de sauvegarder 10 m3/s.

 

Mesures à moyen terme

 

A  moyen terme (2018), les mesures mises en place concernent la meilleure gestion des stocks avec des transferts entre les stocks les plus utilisés et les moins utilisés.

Ce schéma révèle également l’utilisation d’une nouvelle source à l’Ouest de Sao Paulo qui alimenterait de 6 m3/s le réseau. Toutes ces mesures permettraient un apport de 29 m3/s sur l'ensemble de la métropole.

 

Mesures à long terme

 

Enfin, les mesures prises à long terme sont de plus grande ampleur et permettrait d’assurer la sécurité hydrique de la méga-métropole. Tandis que les solutions à court-terme et à moyen terme permettent une gestion « d’urgence », les solutions long-termes envisagent :

  • L’utilisation de nouvelles ressources d’ici 2050 pour alimenter le réseau (Rio Juquiá, Rio Paranapanema)

  • La création de barrages pour gérer des stocks en amont des rivières (et notamment au sein de la mégalopole)

Ces mesures sont plus coûteuses et nécessitent des travaux de longue haleine. La ville a tout de même réussi à intégrer ces changements dans son schéma directeur à horizon 2050 qui englobe des améliorations au sein de la ville sur d’autres plans d’urbanisme (transports, culture…).

 

Bilan

 

Finalement, la situation actuelle de Sao Paulo, bien que critique, semble provisoire et des solutions sont mises en place pour que de telles périodes d’insécurité hydrique ne surviennent plus dans la méga-métropole. Cependant, il est nécessaire de voir ces solutions dans leur ensemble pour les comprendre. Bien que les paulistes puissent se sentir forcés à l’économie, devant même subir des coupures, ces mesures sont nécessaires pour amorcer les suivantes (moyen terme, long terme).

 

La difficulté supplémentaire pour la métropole serait peut-être la communication de ses plans à long terme (avant notre entrevue avec M. Palermo, on a pu facilement être informés des mesures d’économie mais pas des solutions présentées dans le schéma directeur par exemple). Ce manque de communication explique en partie la contestation naissante au sein de la population pauliste et doit être palié pour éviter la naissance de problèmes mettant en péril les plans à long terme.

 

 

Grâce à l’accueil chaleureux de Marco Antonio Palermo, nous avons pu saisir toute l’étendue des problèmes (et solutions) liées à la gestion intégrée de l’eau au sein d’un cadre exceptionnel (Sao Paulo représente un défi démesuré par sa grandeur). M. Palermo rajoute à la fin de notre entretien une autre remarque que nous voulons vous partager par sa pertinence et qui illustre les difficultés à établir des plans d’urbanisme.

 

Aujourd’hui, on peut avoir tendance à critiquer le paysage de Sao Paulo, son caractère artificialisé, ses cours d’eau « morts » la traversant. Mais peut-on vraiment juger une décision vieille de 100 ans, qui paraissait à l’époque la meilleure ? Si le choix avait été de laisser aux cours d’eau leur profil naturel, comment se serait développée la ville ? M. Palermo termine son interview par : « On ne peut pas juger les décisions anciennes avec le recul que l’on a aujourd’hui, il nous faut les comprendre pour améliorer la situation future. »

 

 

C’est un véritable défi pour les ingénieurs de demain : Pouvoir penser l’urbanisme à l’échelle des siècles.

 

Par Quentin Défossé

relecture Léo Breuilly

Le 30 septembre 2015

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