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Changement climatique et biodiversité en Equateur.

 

 

 

Nous sommes arrivés en Equateur en bus et déjà à travers les vitres nous pouvons voir que ce pays est différent de ses voisins. La végétation y est luxuriante, variée, et la géographie du pays lui permet d’accueillir une biodiversité exceptionnelle ! L’Equateur est en effet le pays ayant la biodiversité la plus grande (rapportée au km²) du monde !

 

Cependant, cette biodiversité est aujourd’hui menacée à cause du réchauffement climatique. Pour en savoir plus, nous avons rencontré Olivier DANGLES, chercheur à l’IRD, écologue, représentant de l’IRD en Equateur, en Colombie et au Venezuela. Ce chercheur nous a donc présenté les enjeux de la réponse de la biodiversité aquatique au réchauffement climatique pour le fonctionnement et la gestion des cours d'eau.

Ara macao dans la selva amazonienne, Léo Breuilly

Biodiversité aquatique, de quoi parle-t-on et pourquoi cela nous intéresse ?

Analyse des ruisseaux glaciaires en Equateur. Olivier Dangles

De manière générale, les cours d’eau et les ruisseaux sont peuplés d’une faune variée, allant des diatomées ou des insectes aux poissons et crustacés. La science de l’hydro-écologie étudie, entre autres, la relation entre les animaux et les conditions hydrologiques pour en déduire la qualité de l’eau des rivières.

 

Souvent, ces études peuvent se focaliser sur les macro-invertébrés (càd les larves d’insectes et les petits crustacés). Ils sont en effet présents dans la majorité des cours d’eau, à la différence des poissons par exemple. Cependant, les différences entre les cours d’eau (débit, température, oxygène, ensoleillement, quantité de nutriments, pollution…) vont favoriser la présence de certaines espèces plus adaptées à ces milieux. Une fois que les macro-invertébrés sont bien répertoriés en fonction de leur milieu, on peut alors utiliser leur présence comme bio-indicateur ! Comment fonctionne un bio-indicateur ?

 

C’est très simple. Cela consiste à effectuer des prélèvements dans le cours d’eau qui nous intéresse pour déterminer et compter les espèces présentes. Connaissant les conditions propices au développement des espèces récoltées, on peut donc déterminer de nombreuses caractéristiques du cours d’eau, et notamment la qualité de l’eau.

Echantillonnage d’invertébrés en Equateur, Olivier Dangles.

Etat des lieux sur les glaciers andins, une biodiversité en péril !

 

Les glaciers andins représentent 99% des glaciers situés sous les tropiques. Ces glaciers ont une grande importance pour la biodiversité locale mais également pour les locaux (ressource  d’eau douce). En Equateur sont situés 4% des glaciers andins. Analysons plus particulièrement le cas de ce pays.

 

Une source d’eau potable pour les habitants

 

Les glaciers sont une réelle ressource en eau douce utilisée par les équatoriens. Ils permettent une régulation de l’approvisionnement en eau par ruissellement lors des périodes sèches tandis qu’ils accumulent de la masse (sous forme de glace et de neige) lors des périodes plus humides. La ville de Quito produit une grande partie de son eau potable, 75% (1), grâce aux ressources des páramos. Ces écosystèmes sont typiques des régions d’altitude entre la limite des forêts et celle des neiges éternelles. Les páramos fournissent en partie des eaux d’origines glaciaire mais également souterraine et pluviale.

Carte de l’alimentation de Quito, Jean Christophe Pouget.​

Un incubateur à biodiversité

 

Allons un peu plus loin sur les caractéristiques des cours d’eau des páramos. Tout d’abord, les ruisseaux issus des glaciers sont particuliers. Lors de leur déplacement, les glaciers broient les roches sur lesquels ils reposent, ce qui crée une couche de sédiments très fins appelée farine glaciaire. Cette farine glaciaire va alors être en suspension et transportée par les ruisseaux glaciaires en aval, on le remarque facilement grâce à leur turbidité assez élevée (l’eau a une couleur laiteuse).

Ruisseaux glaciaires en Equateur, Olivier Dangles.

Cependant, cette farine glaciaire ne charge pas l’eau en minéraux. Les ruisseaux glaciaires ont donc une conductivité faible, ce qui a une grande influence sur les espèces qui peuvent se développer dans ce milieu. La conductivité intervient en effet dans l’osmorégulation.

Cadre à part : L’osmorégulation est un processus biologique des espèces aquatiques pour éviter la fuite ionique vers le milieu dans lequel ils vivent. Par exemple, en eau douce, l’osmorégulation d’un poisson peut consister à excréter beaucoup d’urine diluée pour éviter la « perte de sel » du corps de l’animal vers le milieu extérieur

 

Enfin, les ruisseaux glaciaires n’ont pas un débit constant. Alimentés par les glaciers, leur débit fluctue en fonction des saisons (sèches ou humides) mais également au fil de la journée. Le jour, l’exposition aux radiations solaires est plus grande, ce qui entraîne plus de fonte et donc un plus gros débit, alors que la nuit, la fonte est plus faible et donc le débit également. Cette variation importante et rapide de débit est un facteur très contraignant pour les espèces qui s’y développent.

Profondeur d’eau, température et taux d’oxygène dans le ruisseau en fonction du temps sur plusieurs jours. (2)​

Ces caractéristiques ont finalement de gros impacts sur la biodiversité aquatique propre à ces ruisseaux. Les espèces qui s’y développent sont d’une part très singulières (résistantes aux variations et à une faible conductivité) mais également peu nombreuses (conditions trop « extrêmes » pour une grande diversité d’espèces).

 

Cependant, les ruisseaux glaciaires ne sont pas les seules sources présentes dans les páramos. On trouve également des ruisseaux et rivières issus des eaux de pluie ou des nappes phréatiques. Ces cours d’eau ont une teneur en minéraux dissouts plus importante, donc sous forme ionique, ce qui se traduit par leur limpidité cristalline.

Ruisseau d’altitude en Equateur, Olivier Dangles et François Nowicki.​

Leur conductivité est alors assez élevée. D’autre part, leur débit est plutôt stable. Ils sont plus propices au développement de nombreuses espèces. Le développement des espèces est même tellement favorisé qu’elles doivent ensuite lutter entre elles pour s’approprier les ressources des cours d’eau (nutriments). Finalement, il arrive que seules les espèces les plus combattives puissent peupler ces cours d’eau.

Profondeur, température et oxygénation des rivières issues des pluies en fonction du temps ainsi que certaines espèces se développant dans ce milieu. (2)​

Profondeur, température et oxygènation des rivières issues des nappes phréatiques en fonction du temps ainsi que certaines espèces se développant dans ce milieu.(2)

Mais la particularité la plus intéressante de la zone des páramos réside dans les cours d’eau qui ont pour origine la confluence de ces types de ruisseaux bien différents.

Mélange de ruisseaux au pied de l’Antisana en Equateur, Olivier Dangles.​

En effet, la confluence des eaux glaciaires avec un autre type de rivière (eaux de pluie ou des nappes phréatiques) entraîne la formation d’un cours d’eau tout à fait atypique. Sa conductivité est intermédiaire, son débit est très stable (les deux cours d’eau compensent les variations l’un de l’autre), et sa concentration en minéraux est moyenne (d’où une conductivité également moyenne). Ces conditions exceptionnelles permettent le développement d’espèces très diverses et tout aussi exceptionnelles !

Cette biodiversité toute particulière regorge donc d’excellents bio-indicateurs. Ces espèces étant issues d’un milieu très particulier, elles sont très sensibles aux variations de ce milieu. Par exemple, si le débit du ruisseau glaciaire diminue, l’espèce peut disparaître.

Les chercheurs de l’IRD ont réalisé un petit document méthodologique (2) pour les gestionnaires de l’eau afin qu’ils aient conscience de l’existence et de l’utilité de ces bio-indicateurs. En plus de décrire les principes des bio-indicateurs, il comporte un petit logiciel permettant de retrouver, avec une liste de descriptions physiques  des espèces récoltées, les noms et la qualité des cours d’eau équivalente.

Le recul des glaciers andins

 

Maintenant que l’on a compris l’importance de la faune aquatique, intéressons-nous à la source de son évolution : Les glaciers.

Cette fois, c’est Marcos VILLACIS qui prend la relève pour nous en dire un peu plus. Il est enseignant-chercheur à l’EPN mais fait partie de l’IRD dans l’équipe spécialisée dans l’étude des glaciers : GreatIce (Glaciers et Ressources en Eau d’Altitude : Indicateurs Climatiques et Environnementaux). Cette équipe étudie l’évolution des glaciers et notamment ses impacts sur l’hydrologie des régions concernées. Leurs travaux ont permis de déterminer l’état des lieux, alarmant, des glaciers andins.

 

Les glaciers andins se forment grâce aux précipitations solides (neige, glace) qu’ils reçoivent sur leur partie supérieure tandis qu’ils perdent leur glace lors de la fonte de la partie inférieure. Les glaciers andins sont particuliers. Ils reçoivent une très grande intensité d’énergie solaire à cause de leur situation géographique. Cependant, à ces altitudes élevées (plus de 4500m), la densité de l’air est assez faible. Cela entraîne un réchauffement insuffisant de l’air pour provoquer une fusion directe de la glace. Cette fusion dépend plutôt de la quantité d’énergie solaire absorbée par le glacier.

L’équipe du LMI GreatIce au travail sur les glaciers du volcan Antisana (5700m) en Equateur, Bernard Francou.

L’absorption de l’énergie solaire, elle, est conditionnée par la surface du glacier. Si une couche de neige la recouvre, l’albedo (càd la capacité à réfléchir l’énergie solaire vers le ciel) va être plus élevée, moins d’énergie va s’accumuler dans le glacier et la fonte sera donc plus faible. Au contraire, des précipitations liquides (pluies) vont mettre la surface à nu et favoriser la fonte.

 

Les glaciers andins sont ainsi des indicateurs très sensibles aux variations climatiques. Pour étudier l’évolution du climat, c’est une aubaine ! Cependant, pour leur préservation, c’est plutôt une malchance. Ils sont très impactés par le réchauffement climatique des régions tropicales. Et c’est ce qu’a constaté l’équipe GreatIce. Sur 30 ans (1976-2006), ce sont déjà 30% à 50% de la superficie des glaciers andins qui ont disparu ! (3)

Vue du volcan Cotopaxi, situé au Sud Est de Quito et participant aussi à son alimentation, Olivier Dangles et François Nowicki.

Les conséquences de cette évolution

 

Les conséquences du recul des glaciers andins sont multiples. Reprenons notre exemple des páramos alimentés par les glaciers de l’Antisana (à l’Est de Quito).

 

Le recul des glaciers entraîne une disparition des cours d’eaux glaciaires. Cette disparition va homogénéiser les cours d’eaux des páramos et, par conséquent, appauvrir drastiquement la biodiversité locale. Cet appauvrissement est dommageable car de nombreuses espèces sont endémiques (càd qu’elles n’existent que dans cette région du monde à cause des conditions exceptionnelles qui s’y trouvent). Cet endémisme étant dû, comme nous l’avons vu, à l’adaptabilité de ces espèces à des conditions extrêmes (température basse, faible pression, fort ensoleillement, faible teneur en minéraux, débit très variable…). C’est donc une perte irremplaçable pour la recherche écologique.

 

Mais pas seulement ! Nous avons vu que toutes ces espèces étaient utiles aux gestionnaires de l’eau. Ceux-ci les utilisent en tant que bio-indicateur afin de mieux gérer l’utilisation de l’eau des páramos, notamment pour sa potabilisation et distribution à Quito. Si ces indicateurs disparaissent, c’est tout le système de gestion qui doit être revu.

 

D’un autre côté, la disparition des glaciers représente une part dans l’apport d’eau de Quito, à hauteur de 4% en moyenne annuelle. Cette part varie grandement au cours des saisons, bien qu’elle soit faible en saison humide, elle peut représenter 20% en saison sèche !

 

Quelles alternatives sont envisagées par la communauté scientifique ?

 

Les premières mesures réalisées concernent la préservation du milieu aquatique pour empêcher sa pollution. Par exemple, éviter la présence de bovins qui vont polluer les cours d’eau par leur déjection est une mesure de sécurité élémentaire mais importante pour préserver la qualité des cours d’eau.

On parle ensuite de mesures compensatoires. Pour compenser la perte de ces bio-indicateurs à cause de l’évolution des glaciers, Olivier Dangles nous présente différentes alternatives possibles. Il cite premièrement les indicateurs fonctionnels.

 

Ces indicateurs sont assez particuliers. Ils consistent à introduire à l’endroit d’étude du cours d’eau un sac de feuilles dont on étudiera la décomposition avec le temps. Le processus de dégradation de la matière organique fait intervenir de nombreux acteurs (bactéries, champignons...) qui permettent de déterminer l’état du cours d’eau. Cette technique se développe de plus en plus dans les pays du Nord depuis ces dernières années.

Une autre solution consiste à utiliser les indicateurs physiques (hauteur d’eau, température, conductivité…) et biochimiques (composition de l’eau suite à une analyse en laboratoire) qui donnent déjà de nombreuses caractéristiques des rivières.

 

Enfin, on peut envisager la disparition de bio-indicateurs mais également l’apparition d’autres indicateurs. Un cours d’eau avec un débit plus faible pourra favoriser l’eutrophisation du milieu suite à quoi le développement algal pourra être quantifié par le taux de chlorophylle A dans le cours d’eau par exemple.

Quoi qu’il en soit, Olivier Dangles préconise la combinaison de plusieurs indicateurs pour déterminer la qualité de l’eau. C’est le moyen le plus sûr de pouvoir mener des études très complètes et sur le long terme.

 

Et par les communautés locales ?

 

Quand on parle d’évolution des ressources en eau, les priorités des autorités et des gestionnaires de l’eau en Equateur sont tout à fait différentes de celles du scientifique. Aujourd’hui, peu de mesures sont envisagées pour la conservation de la biodiversité aquatique. La politique générale consiste en l’exploitation de nouvelles ressources en eau (et notamment les transferts entre différents bassins versants) pour compenser la disparition des ressources déjà utilisées. L’utilisation de nouvelles ressources répond surtout à une demande qui croît car la population équatorienne connait un taux de natalité très élevé (2,59 enfants par femme en 2012 contre 2 en France (4)). La région de Quito connaît plus particulièrement un accroissement estimé à 1,5% par an (de Bièvre et al. 2008). Utiliser de nouvelles ressources est une mesure qui semble plutôt évidente, cependant elle repose sur une politique de développement technologique toujours plus intense pour répondre aux problèmes.

 

D’autres politiques, plus complexes et longues à mettre en œuvre sont envisagées comme le changement des habitudes de consommation de la population et la priorité donnée à l’économie d’eau. Cependant, ces solutions sont effectives à long terme, à grande échelle et peuvent présenter de grandes contraintes aux habitants. C’est pourquoi elles sont souvent difficilement mises en place. Pourtant, à terme, ce sont ces solutions qui vont permettre de gérer de façon pérenne et équitable les ressources disponibles. Aussi bien en Equateur, qu’ailleurs sur notre planète.

 

Redaction : Quentin Defosse

Relecture : Nolwenn Kazoum, Leo Breuilly

 

 

  1. www.aguaquito.gob.ec

  2. Fauna Acuatica en la Reserva Ecologica Antisana, R. Espinosa, P. Andino, D. Jacobsen, O. Dangles

  3. Analizando el cambio climatico a partir de los glaciares del ECUADOR

  4. Banque mondiale

Pour aller un peu plus loin, voici d’autres sources qui parlent de ce sujet ou de thèmes reliés :

https://www.ird.fr/la-mediatheque/fiches-d-actualite-scientifique/424-le-spectaculaire-recul-des-glaciers-andins-depuis-30-ans

https://www.ird.fr/la-mediatheque/videos-en-ligne-canal-ird/la-biodiversite-aquatique-des-paramos-d-equateur

http://web.worldbank.org/WBSITE/EXTERNAL/ACCUEILEXTN/PAYSEXTN/LACINFRENCHEXT/0,,contentMDK:21741201~pagePK:146736~piPK:226340~theSitePK:488765,00.html

http://mappemonde.mgm.fr/num6/articles/art05202.html

 

 

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