top of page

Le Mékong, neuf dragons et six pays

Comment traverser l’Asie du Sud-est sans parler du Mékong. Impossible de le manquer, nous n’arrêtons pas de le retrouver sur notre passage ! Prenant sa source sur les hauteurs de l’Himalaya, le Mékong traverse la province Chinoise du Yunnan, sillonne le Laos, borde la Birmanie et la Thaïlande, puis s’étire au Cambodge et termine son long chemin au Vietnam par neuf estuaires, ce qui lui vaut le nom du fleuve des neuf dragons, pour se jeter dans la mer de l’Est.

En tout, le Mékong parcourt plus de 4600 km, dont près de la moitié en Chine. Son bassin versant s’étale sur 810 000 km². Du fait de sa longueur, le fleuve est très diversifié :

 Sa source est localisée sur le mont Guozongmucha dans la province de Qinghai à une altitude de 5224 mètres. En Chine, le Mékong est surnommé le « fleuve turbulent », car il traverse de nombreuses gorges et précipices. Mais il change radicalement de profil à son arrivée au Laos, avec une altitude qui n’est plus que de 500 mètres. Il poursuit ses larges méandres tranquillement, ne traversant plus que quelques rares chutes et rapides. C’est le quatrième fleuve d’Asie, mais le plus important en Asie du Sud-est.

Un fleuve singulier…

Le Mékong a une hydrologie particulière qu’il doit à l’alternance des saisons sèches et humides et à la fonte des neiges de l’Himalaya. Au sud du Laos, on observe déjà un écart important, le débit au plus fort de la saison humide (août) est 10 fois supérieur à celui au plus fort de la saison sèche (avril). Ceci a des conséquences particulières sur les 70 millions d’habitants qui vivent dans le bassin versant. Historiquement, il est indispensable à l’irrigation, la riziculture étant une des activités agricoles principales dans les pays du Sud-est, mais il est également indispensable à la pêche et la pisciculture. Le fleuve est réellement ancré dans les habitudes, et il est connu pour accueillir des habitations et des marchés flottants. Depuis des siècles, un équilibre naturel s’est créé dans ce bassin versant, donnant lieu à des observations uniques.

Par exemple, le Cambodge, qui subit tout particulièrement la saison sèche, survit grâce à un hasard géologique, un régulateur, qui s’appelle le Tonle Sap. Ce système hydrologique unique, combinant lac et rivière, est un confluent du Mékong. Sans source hydrographique, le Tonle Sap est un système exceptionnel : en saison sèche, l’écoulement se fait du lac vers le Mékong, mais lorsque le Mékong est en crue, on assiste au « retournement des eaux » : le sens d’écoulement s’inverse et le lac se remplit à la façon d’un déversoir de trop plein. Le Tonle Sap est donc dépendant du Mékong.

Un autre exemple se situe dans le delta du Mékong. En saison sèche, la ligne d’eau du fleuve est plus basse que la ligne d’eau de la marée. On assiste ainsi également à une inversion cyclique du courant, qui fait remonter l’eau salée jusqu’à 60 kilomètres à l’intérieur des terres Vietnamiennes. Ce phénomène s’accompagne d’un alluvionnement (dépôts de sédiments par le fleuve en crue) de dépôts côtiers sur les terres agricoles.

Le Mékong et son bassin versant sont également une mine d’or en ce qui concerne la biodiversité. Les irrégularités d’écoulement du fleuve, ses inondations cycliques et sa situation géographique font de lui un lieu propice au développement et à l’habitat d’espèces endémiques. Depuis 2007, WWF a recensé plus de 1700 nouvelles espèces en son cours. Des reptiles, des oiseaux, mais bien sûr des poissons… Lors d’une de nos escapades sur le Mékong Cambodgien, nous avons pu observer les célèbres dauphins d’eau douce d’Irrawaddy, qui sont menacés d’extinction ! Enfin, lors des crues, le Mékong inonde des terrains agricoles et des zones boisées. Lors de la descente des eaux (décrue), le fleuve laisse derrière lui des limons, des dépôts riches et nutritifs qui rendent la terre fertile pour le reste de l’année.

Fonctionnement du Tonlé Sap, image osmosetonlesap.net
Flèche orange = saison sèche (novembre à mai)
Flèche violette = saison des crues (juin à octobre
)

​​

Dauphins d’Irrawaddy observés à Kratie au Cambodge, LB

…aux problèmes multiples

Huynh Thanh Son, ancien responsable du département « ressource en eau » de l’institut polytechnique de HCMC (Ho Chi Minh City) au Vietnam, et son collègue Ho Tuan Duc nous ont accueillis un dimanche matin dans leur faculté. Pour ces deux passionnés, il n’y a pas de jours de repos pour parler des problèmes d’eau au Vietnam. C’est autour d’un délicieux café que nous abordons de près les ennuis que rencontrent le Vietnam et son delta du Mékong.

« Les choses vont mal dans notre delta ! » rappelle le professeur Hyunh.

Vous l’aurez compris, le Mékong dépend d’un équilibre hydrologique très fragile. Et l’action récente de l’homme sur le fleuve tend à déstabiliser son fonctionnement ancestral. Aujourd’hui, le développement des pays s’accompagne d’un besoin en énergie et en eau croissants qui rentre en conflit avec la préservation de l’environnement. Le Mékong voit son équilibre petit à petit remis en question.

L’industrie requiert un apport en eau stable tout au long de l’année. L’énergie hydroélectrique apparaît également comme une énergie très peu onéreuse et facilement exploitable. Et tout cela ne peut se créer que par la construction de barrages. Ainsi, cette dernière décennie a été marquée par un rythme exponentiel de constructions de barrages sur le Mékong et ses affluents. En Chine, au Laos, en Thaïlande et au Cambodge, la construction de barrages pour l’hydroélectricité et pour l’irrigation s’accélère.

Ce document illustre les projets de barrages le long du Mékong. On y trouve en rouge les projets, en jaune les barrages en constructions et en bleu ceux qui sont déjà établis.

Et cette illustration ne montre que les barrages qui sont directement sur le Mékong. Il faut considérer également la construction et l’existence de barrages sur ses multiples affluents, comme le barrage de Nam Theun 2 au Laos ou le Pak Num en Thaïlande.

Les barrages ont plusieurs conséquences importantes sur le Mékong. Le but de ces barrages est naturellement de stocker l’eau en saison des pluies afin de l’utiliser en saison sèche pour l’irrigation ou la production d’électricité. Mais stocker l’eau en période de crue revient donc à diminuer le phénomène de crue lui-même. Ainsi, le Cambodge voit le risque que le Tonle Sap ne soit plus rempli avec la même intensité à l’avenir, remettant en cause même son existence. A terme, il est prédit que l’ensemble des barrages Chinois sur le Mékong, de par leur capacité de stockage, seront capable d’absorber la moitié du débit des crues. (source : Le bassin du Mékong, une région menacée par les grands aménagements sur le fleuve, Mardi 11 août 2009, par  Olivier Petitjean, http://www.partagedeseaux.info/Le-bassin-du-Mekong-une-region-menacee-par-les-grands-amenagements-sur-le)

Parallèlement, en saison sèche, les barrages ne rejettent dans les cours d’eau qu’un débit minimum. Les riverains des retenues d’eaux irriguent leurs cultures, l’eau s’évapore et différentes pertes font que l’eau stockée n’est pas totalement restituée. Le débit de la saison sèche du Mékong tend donc lui aussi à diminuer. Le Vietnam se retrouve alors confronté à un problème majeur : les eaux salées, en saison sèche, remontent de plus en plus loin dans le delta du Mékong, et leur présence dure de plus en plus longtemps. Ce qui n’était alors qu’un bref phénomène annuel représente aujourd’hui l’ennemi numéro un de la région du delta. La salinité remonte dangereusement dans le delta, rendant l’irrigation impossible alors que le delta du Mékong est surnommé le « grenier du Vietnam ».

Chiffres à l’appui, les deux professeurs m’ont présenté l’ampleur de ce problème de salinité.

Les barrages sur le Mékong.

source: Michael Buckley /  VnExpress.
 

Ce document (ci-contre), publié par l’institut de recherche en ressource en eau du Sud [du Vietnam], représente l’intrusion de la salinité dans le delta du Mékong. On y retrouve la concentration et la distance de cours d’eau sur laquelle remonte l’eau salé en saison sèche. Ce phénomène est aggravé par la montée du niveau de la mer. Un taux élevé de salinité est néfaste à l’agriculture et peut notamment empêcher la culture du riz. Pour compenser cette perte, les agriculteurs se reconvertissent dans l’élevage des crevettes. Mais cette activité aggrave encore la destruction des mangroves (déjà très abîmées par l’épandage de défoliants durant la guerre) et intensifie l’érosion.

​​

Cartographie de la salinité remontant

dans le delta du Mékong,

carte de l’institut de recherche en ressource en eau du Sud

 

Voilà une situation bien compliquée que doivent comprendre et expliquer une poignée de courageux scientifiques. Huynh Thanh Son et Ho Tuan Duc, nos deux chercheurs et enseignants de l’Institut Polytechnique de HCMC, soulignent l’arrivée du nouveau venu : Le CARE (Centre Asiatique de Recherche sur l’Eau (cf article CARE). L’aide des pays du Nord dans le combat pour la sauvegarde du Mékong parait indispensable aux yeux des scientifiques Vietnamiens et c’est grâce à ce centre qu’elle pourra révéler son potentiel.

Face à ces problèmes, les pays d’Asie ont créé la commission de la rivière Mékong (MRC). Malheureusement, la Chine ne s’est pas engagée dans celle-ci. Même si des échanges ont lieu entre la MRC et la Chine, les conflits peinent à être désamorcés : les barrages construits ne prennent pas en compte les impacts qu’ils causent aux pays en aval.

Les pays en aval imaginent déjà de nombreuses solutions pour palier à leurs problèmes. Le Cambodge envisage la construction de nouveaux barrages. Le Vietnam attend beaucoup des scientifiques agronomiques quant à la production de riz résistant à une forte salinité. Mais à terme, une coordination entre la Chine et les pays en aval sera indispensable.

Et pour le plaisir, voire la survie, de tous les Vietnamiens, Cambodgiens et Laotiens que nous avons croisés sur notre chemin, puisse le Mékong continuer d’apporter la vie comme cela a toujours été le cas jusqu’à maintenant !

Navigation dans le delta du Mékong, LB

Couple naviguant sur le Mékong, Luang Prablang au Laos, LB

Léo Breuilly

relecture : Quentin Défossé, Isabelle Oudinot

Qui sommes nous ?

2 Gouttes d'eau est une association d'élèves ingénieurs de l'Ense3 - Grenoble, qui monte des projets autours des thématiques liées à l'eau.

Que faisons nous ?

L'association monte de nombreux projets, grâce à son pôle international d'une part, et son pôle local d'autre part.

 

Nos articles

Découvrez ici les articles écrits par les membres de l'association. Vous y apprendrez beaucoup sur l'eau à travers le monde !

bottom of page