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L'eau potable en milieu rural au Cambodge

Nous venons de traverser la frontière Cambodgienne à Poipet, à l’ouest du pays. Nous sommes fin février, et la saison sèche commence sérieusement à se faire sentir. Nous traversons de grandes plaines poussiéreuses de l’ouest pour arriver jusqu’à Siem Reap. Cette ville est très connue pour sa proximité avec le site exceptionnel d’Angkor et la multitude de ses temples vieillissants ainsi que ses nombreux ouvrages hydrauliques (barays, canaux).

Angkor Wat, L. Breuilly

Un baray est un large quadrilatère de digues, qui forment ainsi de grands bassins. Ils se remplissent naturellement lors des mois de moussons, et permettent ensuite l’irrigation des rizières en saisons sèches. Certains mesures jusqu’à 8 km sur 2,3 km à Angkor !

Mais Siem Reap est également une ville où fourmille une multitude d’ONG. L’éducation, l’alimentation, les énergies... Le Cambodge, de par sa triste histoire, accumule aujourd’hui une montagne de problèmes qui se cache derrière une façade florissante de beaux quartiers touristiques. La santé, la pollution, la pauvreté bien sûr, et l’eau… Je ne parlerai pas de tout, seulement d’eau comme à notre habitude à 2 gouttes d’eau. Mais tout est lié, comme toujours !

 

En arrivant à Siem Reap, nous sommes accueillis par Guillaume, un étudiant de l’ENSE3 tout comme nous. Il séjourne ici pour 6 mois et effectue son second stage de césure au sein d’une entreprise sociale, Naga Earth, qui fabrique du biofuel et du savon en récupérant les huiles de cuisine usagées des restaurants environnants. L’idée originale du directeur, Tim, est de produire un combustible bien moins polluant qu’un diesel conventionnel, le tout en récupérant des huiles dont la destination habituelle est le réseau d’égout. Vous l’imaginez bien, elles finiront dans les rivières. En pratique, Naga Earth paye la plupart du temps les restaurants pour récupérer l’huile car il existe une triste concurrence dans le rachat des huiles usagées : Les restaurants de rue, les vendeurs de ‘’street-food’’, achètent ses huiles pour une seconde utilisation culinaire...

Bidon d'huile de cuisine usagée, L. B.

Laboratoire de transformation Naga Earth, L. B.

Tim, le directeur de Naga Earth, américain d’origine, est installé ici depuis 8 ans. Largement suffisant pour connaître aujourd’hui une multitude d’ONG. Et cela tombe bien pour nous, car il connaît Kévin, qui travaille depuis plusieurs années avec Scott sur un projet qui va nous intéresser tout particulièrement : Ils fabriquent depuis plusieurs années un système de filtration d’eau qui n’utilise que du sable et du gravier et qui fonctionne sans électricité ! Un coup de téléphone et le rendez-vous est pris pour visiter le lendemain le lieu de fabrication de ces filtres biosable.

 

C’est donc Kévin et Scott, américains, ou plutôt cambodgiens depuis plus de 10 ans, qui nous accueillent à « l’usine » des filtres. Ils ont tous les deux la soixantaine, avec chacun une longue expérience dans les ONG. Autant dire qu’aujourd’hui, ces deux sages sont devenus incontournables et leurs expériences n’est plus à prouver dans le milieu des ONG. Leur ONG, Trailblazer Foundation, est d’ailleurs l’une des premières à travailler avec les villages et les villageois dans la région de Siem Reap. Scott l’a cofondé en 2004.

 

Alors que nous sommes impatients de découvrir leur fabuleux système, Scott et Kevin nous parlent des Cambodgiens, et des problèmes qu’ils rencontrent au quotidien. En particulier, ils nous parlerons du manque d’éducations et de compétences dans tous les domaines : Le régime des khmers rouges a conduit à éliminer tout système d’éducation. Ils nous parlent aussi des ONG qui ont fleuri partout à Siem Reap, suite à une prise de conscience internationale de la situation du Cambodge. Ils en ont compté plus de 330 aujourd’hui.

 

Après avoir vu des écoles se construire et rester désertes. Après avoir vu des ONG offrir des systèmes d’énergies High-tech dans les villages, et avoir vu ses appareils tomber en panne et le rester faute de compétences pour les entretenir, ou faute de moyens….  et surtout, après avoir vu comment les cambodgiens vivent après toutes ces années passées ici, ils sont désormais certains qu’un des plus gros freins au développement des cambodgiens est l’accès à l’eau potable.

 

Et leur manière de le justifier est simple. Ils prennent un cas type : un Cambodgien, après avoir bu de l’eau insalubre, va à coup sûr tomber malade. Malheureusement, il ne sait pas que c’est cette eau qui l’a rendu malade. Qui le lui aurait dit ?! De toute façon, il n’a pas vraiment le choix car la seule alternative qu’il a est d’acheter de l’eau en bouteille, et il n’a pas les moyens. Du coup, au lieu d’aller à l’école, au lieu de travailler, au lieu s’occuper de son jardin, il ne fera qu’attendre, dans son hamac, que ces douleurs cessent… Beaucoup de Cambodgiens, malades sans en avoir réellement conscience, passent leur temps à attendre que leur diarrhée passe ! Ils attendent, simplement, que les esprits soit plus clément avec eux.

 

Est-ce que quelqu’un leur a jamais appris que leur eau, qu’ils récupèrent dans les puits, les rivières ou les étangs peut rendre malade, ou l’ont -ils jamais écouté ? L’eau potable est-elle accessible financièrement pour les plus reculés des villages ?

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Scott s’est donc donné une mission au travers de Trailblazer. Rendre accessible l’eau potable de manière durable, et surtout, informer le plus de Cambodgiens sur l’importance de boire de l’eau potable ! La solution qu’ils ont trouvée est simple. Fabriquer des filtres à eau qui ne requiert rien d’autre que du béton, du gravier et du sable, qui ne demande aucune compétence pour l’installation et l’entretien, mais qui enlève 99% de toutes les bactéries et impuretés. Aucune consommation d’énergie, aucun produit à ajouter, aucune mauvaise surprise donc…

 

En fait, rien de révolutionnaire : Le filtre biosable qu’ils construisent, ils en ont trouvé le modèle sur internet, totalement gratuitement. C’est CAWST, une organisation humanitaire canadienne axée sur l'eau potable et l'assainissement de base, avec l’idée que ces derniers sont fondamentalement nécessaires pour soutenir les plus pauvres et briser le cycle de la pauvreté. La stratégie de CAWST est de répandre leur connaissance à autrui via des fichiers « open content ».

 

 

Voilà le filtre biosable fabriqué par Scott à Siem Reap :

Filtre biosable fabriqué par Trailblazer, L. B.

Extrait du manuel de construction du filtre biosable CAWST

Les matériaux utilisés ne sont que du sable et du gravier, que l’on peut trouver dans le monde entier. Il y a seulement des indications précises sur la taille des grains.

Le sable filtrant est un sable fin qui est passé dans un tamis de diamètre 0,7mm.

Le gravier de séparation est un gravier de diamètre compris entre

0,7 mm et 6 mm.

Enfin le gravier de drainage est le plus gros, de diamètre compris

entre 6 mm et 12 mm.

Scott et son équipe d’ouvriers Cambodgiens préparent le caisson en béton et préparent des sachets de sable et gravier. Ainsi, les filtres sont livrés en kit, et il faut juste 30 minutes de montage et d’explication pour rendre le filtre opérationnel chez les heureux cambodgiens.

 

La question que nous nous posons obligatoirement est : Ce simple filtre biosable fonctionne-t-il bien ? Rend-il l’eau potable ?

Comment rend-on une eau potable ?

Dans le monde entier, le schéma du traitement de l’eau réalisé est toujours le même:

La sédimentation consiste à retirer les éléments solides et grosses particules qui se trouvent dans  l’eau prélevée.

 

Naturellement, l’eau contient beaucoup d’êtres vivants, certains inoffensifs, et d’autres, que l’on appelle pathogènes, ont la fâcheuse propriété de rendre l’homme malade. L’eau peut également avoir une turbidité, c’est-à-dire qu’elle contient des MES (Matières En Suspension) qui la rendent trouble. C’est sur ces deux éléments, éléments pathogènes et MES, que le filtre va jouer un rôle.

 

Pour supprimer ou tuer les pathogènes qui ont réussi à traverser le filtre, l’étape de désinfection est souvent indispensable. En France, on utilise généralement le chlore, mais il existe la désinfection par UV ou la désinfection solaire, bien plus pratique dans un pays comme le Cambodge.

Parlons maintenant du fonctionnement de filtre biosable :

 

L’eau est ajoutée dans la zone du réservoir, au-dessus du diffuseur. C’est uniquement la gravité qui va faire fonctionner le filtre : la charge hydraulique créée par l’eau dans le réservoir est suffisante pour forcer l’eau à passer à travers le sable. Ce système ne nécessite donc pas de pompe !

 

L’eau va ainsi traverser successivement les couches représentées ci-dessous :

Extrait du manuel de construction du filtre biosable CAWST

 

La zone de repos va être la zone où les matières en suspension vont se retrouver bloquées. Plus grosses que la porosité du sable filtrant, ces matières vont rester au-dessus du sable.

 

Le plus important est d’éliminer les éléments pathogènes qui se cachent dans l’eau. Ces derniers vont devenir les proies d’une population de microorganismes qui va se sédentariser pour créer la couche biologique. Les microorganismes vont se nourrir des éléments pathogènes : On appelle ça la prédation. La création de la couche biologique peut prendre jusqu’à un mois, mais une fois installée, elle va permettre au filtre dans son ensemble d’éliminer 99% des pathogènes.

 

La zone non biologique du sable filtrant est un zone où il n’y a plus d’oxygène ni de nutriments. Ils ont été consommés entièrement dans la zone biologique. Ainsi, les quelques pathogènes qui auront réussi à échapper à la prédation en zone biologique, vont mourir naturellement, par manque d’oxygène et de nutriment.

 

Les zones de graviers vont maintenir le sable et éviter qu’il colmate la sortie d’eau.

 

Enfin, l’eau sort par le tuyau de sortie, en direction d’un stockage. Scott porte une attention particulière à enseigner aux Cambodgiens que le récipient à mettre en sortie doit être propre, et en aucun cas celui qu’ils utilisent pour mettre l’eau dans le filtre. Sinon, l’eau se retrouvera à nouveau contaminée…

 

Pour prouver l’efficacité de ce filtre, CAWST propose un tableau récapitulatif de tests réalisés en laboratoire et sur terrain. Bien sûr, tout dépend de chaque filtre et de l’attention qui est portée à sa construction, mais cela permet d’avoir une idée de son efficacité.

Tableau récapitulatif des tests d’efficacité sur la destruction des pathogènes à travers le filtre biosable extrait du manuel de construction de CAWST.

 

Ce tableau permet de voir que la majorité des pathogènes décomposés en 4 colonnes est éliminée.

 

Après une explication détaillée de sa part, Scott nous indique qu’il ne distribue pas de systèmes pour désinfecter l’eau à la sortie du filtre. Ils sont assez onéreux pour le travail « perfectionniste » qu’ils opèrent. Le principal du travail de traitement est réalisé par le filtre et cela permet de diminuer significativement les problèmes de diarrhée des consommateurs pour un moindre coût.  

 

Pour construire un filtre, un donateur donne 80 $, ce qui correspond à son coût de production. Mais attention, bien que Trailblazer Foundation fonctionne sur un système de dons, il n’est pas question d’offrir gratuitement ce filtre. Scott et Kevin rappellent la longue période où des ONG du monde entier venait donner en masse des aides humanitaires, les habitants ont pris la mauvaise habitude de tendre les mains et d’attendre que cela viennent. La nature humaine est ainsi. A long terme, des aides humanitaires se retrouvent à avoir des effets négatifs ! Ainsi, il est demandé à chaque installation d’un filtre 2,5 $. Cette somme, bien que dérisoire par rapport au coût de fabrication,  peut être une dépense conséquente pour un Cambodgien. Mais l’effort financier demandé permet de réactiver la motivation des habitants. Travailler pour obtenir un environnement de vie meilleur est différent qu’attendre pour que cela vienne tout seul !

 

Pour continuer dans ce sens, Trailblazer prépare une série de projets qui permettra par la suite de donner des idées simples de développement économique pour ces Cambodgiens en pleine forme. Ainsi, plus que d’apporter l’accès à une eau saine, la fondation aide également les populations défavorisées à créer une activité locale. Les cambodgiens découvrent alors qu’avec une source de revenues stable et durable, les besoins essentiels à la vie courante deviennent accessible : une alimentation saine et variée, la santé, l’éducation… C’est un peu comme si l’accès à l’eau est la clé. Trailblazer travaille beaucoup avec les chefs de village et les membres du gouvernement pour être sûr que les solutions proposées sont adaptées aux besoins, et que les cambodgiens participent volontairement aux projets. Par exemple, ils sont en train d’expérimenter la création de jardins hydroponiques et bio qui permettraient l’économie d’eau pour la culture de légumes.

 

Scott et Kévin, accompagnés de leur équipe au sein de Trailblazer, ont encore plus d’un tour dans leur sac…

Scott (à gauche) et Kevin (à droite) à l'atelier des filtres de Trailblazer Foundation, L. B.

De Léo Breuilly

Relecture par Quentin Défossé, Guillaume Laurimier et Isabelle Oudinot

Le 27/02/2016

 

 

Lien externe :

 

http://www.nagaearth.org/

http://thetrailblazerfoundation.org/home

http://www.cawst.org/

 

 

 

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2 Gouttes d'eau est une association d'élèves ingénieurs de l'Ense3 - Grenoble, qui monte des projets autours des thématiques liées à l'eau.

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