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Un barrage de la mort

La météorologie cambodgienne est très particulière du fait de ses deux saisons très marquées : la saison sèche (de novembre à mars/avril) et la saison des pluies (de mai à octobre). Il peut pleuvoir jusqu’à 300 mm/m2/mois lors dans la saison humide. Le paysage s’en retrouve transformé. Beaucoup de surfaces agricoles sont inondées, et on comprend pourquoi les maisons cambodgiennes typiques sont des maisons sur pilotis. Ces nombreux m3 d'eau qui tombent sans cesse viennent gonfler les cours d'eau, font déborder abondamment le Mékong sur les terres agricoles, ce qui est une aubaine pour la culture du riz. Les rizières sont naturellement alimentées et les limons transportés par les eaux chargées du Mékong viennent recharger les terres cultivées.
 

                       La saison sèche au Cambodge, L. B.

 

En saison sèche, aucune goutte d’eau ne tombe de novembre à avril. Notre passage en mars en a été une belle démonstration : tout est sec. Les champs ont été récoltés depuis longtemps, et seules quelques mauvaises herbes jaunes meurent dans les grandes étendues agricoles. Tout semble mort à l’exception de quelques grands arbres qui puisent leurs ressources dans les eaux  souterraines. Les routes et les chemins ne sont que poussière et les cours d’eau forment leurs maigres méandres au fond de leur lit majeur. C’est lors de cette période que les Cambodgiens vont avoir de réels problèmes d’accès à l’eau. Ils stockent dans de grandes amphores des eaux de pluie, ils creusent des puits, pompent les eaux dans les basses rivières. Mais les quantités sont maigres, à peine suffisantes pour l’utilisation domestique.

 

Lors d’un trajet en bus en direction de Battambang, nous apercevons tout de même quelques champs dont le vert persiste dans le paysage. Il y a donc quelque part dans ce pays un endroit caché où il y aurait de l’eau ? Nous ne sommes pas tout près du grand lac Tonlé Sap, et encore plus loin du Mékong. D’où peut bien venir toute cette eau qui rend si vertes certaines rizières en saison sèche. En arrivant à Battambang, nous entamons nos recherches. Il ne nous faudra longtemps : en discutant avec des compagnons de terrasse de notre café, nous apprendrons l’existence du barrage de Kamping Puoy, à 35 km à l’ouest de Battambang.

 

Nous avons déjà pu voir quelques petits réservoirs, formés à la manière des barays d’Angkor (cf. article filtration biosable). Mais nous n’avions pas encore vu de vrai et grand barrage et réservoir d’eau au Cambodge. Le pays, de par sa morphologie plate n’est pas très propice à l’installation de barrage. Curieux, nous partons donc sur notre scooter de location sur les routes cambodgiennes à la découverte du barrage de Kamping Puoy.

                       Sortie du barrage de Kamping Puoy, L. B.

 

A notre arrivée au barrage, le site est digne d’un lieu de vacances. Des enfants jouent avec des chambres à air dans les petits bassins formés en sortie des vannes du barrage. La grande digue, que surplombent d’un côté une plaine de rizières et de l’autre le lac, est fleurie de boutiques où l’on peut acheter des fleurs de lotus cultivées localement. Des femmes viennent à notre rencontre pour nous proposer de louer des bateaux. Une plaque noire commémorative rappelle l’inauguration du barrage en 2001, par le vice-premier ministre Sar Kheng, et indique des aides financières internationales pour sa réalisation.

 

La digue du barrage est en terre. Elle mesure 4 km de long. Le lac formé mesure 2 kilomètres de large et entre 6 et 19 kilomètres de long selon la saison, uniquement alimenté par la pluie et quelques ruisseaux. Nous n’arriverons pas à connaître le volume de stockage, mais nous ne mentons pas en disant qu’il est suffisant pour permettre l’irrigation des nombreuses rizières, même en cette période sèche, au vu des grandes étendues vertes observées au-delà. Il n'est pas officiellement utilisé comme ressource d'eau pour la consommation.

                       Barrage et lac de Kamping Puoy, L. B.

 

Mais la plaque omet de rappeler l’histoire de ce barrage : les débuts des travaux datent de 1977. Le régime des Khmers rouges imposé par Pol Pot asservit la population cambodgienne à l’aide d’une garde militaire en arme. Nous ne trouverons rien qui le mentionne sur place, et peu de documents officiels permettre de retracer l’origine de ce barrage, mais les paysans des environs savent.

 

En 1977, des dizaines de milliers de travailleurs ont été forcés à travailler sur ce chantier, dans des conditions déplorables. L’Histoire rappelle souvent la manière dont les Khmers rouges ont asservis la population cambodgienne. Nous savons tous ô combien nombreux sont les gens qui ont péris dans des tâches inhumaines dans des états de malnutrition effroyable. Ce barrage ne fait pas exception « à la règle ». Lors de ces travaux, des milliers de Cambodgiens perdront leur vie. Ils seront ensevelis directement même dans cette digue. Ici, les Cambodgiens le surnomme le « barrage de la mort ».

 

Ce jour-là nous rentrons avec des émotions partagées. D’un côté, l’histoire de ce barrage et des hommes, femmes et enfants qui donnèrent leur vie pour son édification, dans l’anonymat le plus total, nous attriste. Encore une fois, l’ombre des Khmers rouges jette un voile d’incompréhension sur la folie humaine. Mais d’un autre côté, nous sommes emplis d’espoir. Ce barrage aurait pu rester inachevé, à l’abandon. Ce n’est pas le cas. Les travaux engagés pour le terminer et son bon fonctionnement aujourd’hui permettent de donner du sens aux sacrifices innombrables. Aujourd’hui, ce lieu n’est plus un lieu de mort, mais de vie, où les gens viennent se reposer en admirant l’étendue des eaux, où les enfants jouent  à s’éclabousser et surtout où  l’agriculture nourrit les familles…

                      Lac de Kamping Puoy, L. B.

 

 

De Léo Breuilly

Relecture par Quentin Défossé et Isabelle Oudinot

Le 13/03/2016

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